ARTICLES

Les premiers distillateurs d’extrait d’absinthe de Couvet

Les débuts de Pernod à Couvet

Brève histoire sur l’origine de l’extrait d’absinthe

Pierre Ordinaire - déserteur

Pernod à Couvet – chronologie des faits documentés 1797-1816

Henri Louis Pernod à Couvet – Les premières années

La société Pernod Fils & Boiteux
Jacques Kaeslin

Mère Henriod n’est pas Mademoiselle Henriod
Jacques Kaeslin

Qui était la Mère Henriod ?
Jacques Kaeslin

À propos des cuillères à absinthe
Marie-Claude Delahaye

L’Absinthe au Val-de-Travers – les origines et les inconnu(e)s

 

 

 

Henri Louis Pernod à Couvet – Les premières années


La présence de la famille Pernod à Couvet est officiellement attestée depuis le 8 janvier 1798. Le procès-verbal de l’assemblée de commune tenue ce jour-là nous dit textuellement que « les lettres d’origine, certificat de vie et de mœurs du sieur Abraham Louis Pernod et sa femme résidant dans ce lieu ont été présentés à la Commission qui les a trouvés très en règle en sorte que l’on ne peut que lui accorder agréablement l’habitation, sauf et réservé l’agrément de la générale assemblée du 15 courant. »

La famille Pernod s’est vraisemblablement installée à Couvet dans le courant de l’été ou de l’automne 1797, venant du Locle où Abraham Louis Pernod aurait exercé un métier lié à l’horlogerie. Les registres d’état-civil de la Mère Commune permettent de dire que la famille Pernod y était bien domiciliée. Il faut toutefois émettre certaines réserves sur la profession qu’Abraham Louis Pernod exerçait en cette ville, tant il est vrai que l’inscription portée dans le répertoire des horlogers loclois, dressé par Jean-Paul Bourdin, concerne un parfait homonyme, son aîné de quatorze ans.

Né en 1735, Abraham Louis Pernod était âgé de 62 ans déjà au moment où il vint s’établir à Couvet. Son épouse, Susanne Ester Favre, avait 56 ans et leur fils cadet, Henri Louis, en avait 21. Les documents consultés ne nous disent rien sur les deux sœurs de ce dernier.

Quelles sont les raisons qui amenèrent cette famille à s’installer à Couvet ? Les parents sont déjà âgés, vieux et infirmes même aux dires de leur belle-fille, tandis que le fils est à peine majeur et sans profession déclarée. La question est légitime, dans la mesure où le chef de famille paraît avoir été en possession d’une recette pour fabriquer de l’extrait d’absinthe. On peut imaginer qu’elle ait donné suite à une proposition qu’aurait pu lui faire le négociant Daniel Henri Dubied, notable de Couvet, intéressé à produire de l’absinthe sur un mode semi-industriel.

Une autre question, qui reste pour l’instant sans réponse, concerne le mariage à Neuchâtel d’Henri Louis Pernod en octobre 1797. Tout juste majeur, habitant depuis peu Couvet, il épouse à Neuchâtel une jeune fille du Locle, Julie Ducommun, issue d’une famille aisée et respectée de la ville horlogère. Dès le départ, la relation du couple est orageuse, la jeune épouse quittant le « domicile conjugal » quelque six semaines après avoir convolé.

Les manuels de la Justice matrimoniale de l’époque nous relatent par le détail les péripéties survenues au sein du couple Pernod-Ducommun et nous apprennent que les parents Pernod occupaient, avec leur fils et sa jeune épouse,  un « local » peu agréable qui avait une incidence sur les humeurs de cette dernière.

Après quelques semaines de séparation, Julie Ducommun accepta de rejoindre son mari pour habiter dans un appartement digne de ce nom, dans la maison du lieutenant Henriod, soit dans l’immeuble de l’ancien Hôtel de l’Aigle à Couvet.

Le 7 février 1798, soit au moment où le couple Pernod s’installe dans son nouveau logement, Abraham Louis Pernod et son fils se rendirent à Môtiers en l’étude de Me Jean-Louis Besancenet. L’acte, établi ce jour-là à la requête du père, consistait à entériner l’émancipation du fils de la puissance paternelle d’une part, d’autre part à définir les modalités de remboursement par le fils d’un prêt accordé par le père, pour « l’établissement particulier qu’il voulait former…et sera désormais pour son propre compte et profit particulier, sans que le père puisse y prétendre en aucune part… ».

Quelque deux mois et demi plus tard, le gouverneur de la Principauté de Neuchâtel, Louis Théophile de Béville, visita le Val-de-Travers. Il fit une halte à Couvet le 27 avril 1798. La communauté villageoise voulut honorer le passage du représentant du roi d’une manière convenable. MM. Pernod-Ducommun et Dubied-Duval dressèrent le plan d’un arc de triomphe qui fut monté « entre la maison du Lion d’Or et celle du justicier Henriod ».


Description: C:\Documents and Settings\Jacques Kaeslin\Local Settings\Temporary Internet Files\Content.Word\i-117.jpg


L’aquarelle ci-dessus représentant cet arc de triomphe, peinte par Henri Louis Pernod lui-même, est conservée par la commune de Val-de-Travers. Elle a été exposée l’an dernier à la Chapelle indépendante à Couvet. L’auteur de l’œuvre en fit don à la Commune de Couvet qui le remercia chaleureusement le 1er janvier 1803 en lui accordant une exemption de la taxe d’habitation pour trois années.

Le couple Pernod-Ducommun s’est assurément beaucoup investi pour que cette journée de visite officielle soit réussie. Les remerciements de la Commune ont aussi été adressés nommément à l’épouse, ainsi qu’à la jeunesse du village, auxquelles « un goûter honnête » serait offert.

Le 23 juillet 1800, Henri Louis Pernod prêta serment de cabaretier devant le justicier Jonas Henri Berthoud. Ses père et mère en firent de même ce jour-là, ainsi que le nouveau tenancier de l’Hôtel du Lion d’Or, Jean Jacques Bringolf et son épouse. Au vu de l’âge des parents Pernod à ce moment-là, on peut s’interroger sur le fait qu’ils prêtèrent serment. Faut-il en déduire qu’ils tinrent effectivement cabaret au village, ou qu’ils secondèrent leur fils dans une telle activité ? Ou alors que celui-ci les aidait quand il n’était pas occupé à distiller de l’extrait d’absinthe ?

Il est utile cependant de préciser qu’Henri Louis Pernod fut cité à comparaître en justice, dans le courant de l’été 1802, en qualité de témoin, et peut-être même de tiers impliqué, dans une longue procédure liée à l’exploitation de l’Hôtel du Lion d’Or à Couvet. Il ne ressort toutefois pas expressément des pages du manuel de Justice qu’il était alors gérant de l’établissement.

La naissance de deux enfants n’atténua pas les dissensions au sein du couple. Le 26 août 1801, les époux Pernod se présentèrent devant la Justice de paix du Val-de-Travers, siégeant ce jour-là à St-Sulpice, pour demander la nomination de curateurs pour l’administration de leurs biens respectifs. Leur requête fut acceptée, le notaire Henri François Henriod de Couvet devint curateur de l’époux, alors que l’oncle de Julie, Jean Jacques Ducommun du Locle, assumait la curatelle de sa nièce. Dès cette date, la séparation du couple devint effective.

Selon le dossier de la Justice matrimoniale, Henri Louis Pernod ne supportait plus les caprices de son épouse, lesquels avaient le plus mauvais effet sur leurs enfants. De son côté, Julie Ducommun n’entendait pas voir son « bel héritage être mangé par le commerce ruineux » dans lequel son mari se lançait.

Les faits évoqués ici nous donnent à penser qu’Henri Louis Pernod n’a œuvré que fort peu de temps avec le major Daniel Henri Dubied dans la production d’absinthe, auprès duquel il a peut-être même succédé à son père. A-t-il monté sa propre distillerie au village, ou utilisé l’alambic de l’Hôtel du Lion d’Or, avant de s’associer,  en 1802 apparemment, avec le jeune Marcelin Dubied, un des fils du major ? En l’état, la question reste ouverte.

Rappelons en effet que, selon ce qu’historiens et chroniqueurs ont écrit jusqu’ici sur les débuts de la production d’extrait d’absinthe, Henri Louis Pernod s’associa à partir de 1797 ou 1798 avec le major Dubied pour produire de l’absinthe, ceci dans un petit bâtiment en bordure du torrent Le Sucre.

Situé sur le bien-fonds de l’Écu de France, propriété de la famille Favre active dans la fabrication de toiles d’indiennes, ce petit bâtiment a été construit – comme cela ressort des procès-verbaux des assemblées de la communauté du village – bien avant l’arrivée à Couvet de la famille Pernod. Le major Daniel Henri Dubied, négociant aisé et notable du village, habitait alors à l’Écu de France. En 1781, âgé d’à peine vingt-deux ans, il représentait déjà les intérêts de la famille Favre, établie à Nantes où elle exploitait une manufacture d’indiennes.

Il est dès lors difficile d’imaginer qu’Henri Louis Pernod ait financé l’équipement de la distillerie, ceci à une époque où ses moyens financiers étaient pour le moins limités. De plus, il a – apparemment – davantage été au service du major Dubied qu’associé à parts égales dans cette première entreprise.

©Jacques Kaeslin