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Jacques Kaeslin, originaire de Couvet
dans le Val-de-Travers fait des recherches approfondies sur les origines
de l’absinthe et par suite sur la personnalité de la
mère Henriod, depuis plusieurs années. Mère Henriod n’est pas Mademoiselle Henriod. Légende et vérité historique ne vont pas de pair. Si celle-ci n’est que rarement établie à satisfaction, celle-là résiste à l’épreuve du temps avant de perdre son aura de mystère lorsque ses composantes sont rigoureusement analysées. Celle entourant les origines de l’extrait d’absinthe, comme toutes les autres, repose sur une part de vrai assaisonnée de souvenirs imprécis, de transcription erronée de détails et de fioritures dont les narrateurs « l’embellissent » au fil du temps pour justifier d’une certaine manière la connaissance qu’ils en ont ou ce qui les lient à elle. Ainsi en est-il de la Mère Henriod, « la première des distillateurs suisses » comme d’aucuns se plaisent à la nommer. La rigueur eût voulu qu’on l’affublât de l’épithète « la première des distillateurs d’extrait d’absinthe suisses », tant il est vrai que la pratique de la distillation ne date pas, en Suisse, de la fin de XVIIIè siècle. C’est précisément de cette manière que naissent les légendes ou encore les erreurs, qu’elles soient judiciaires ou historiques. À l’évidence, la Mère Henriod n’a pas été la première personne à distiller en Suisse. Qu’elle ait en revanche été la première, ou une des premières, à distiller de l’extrait d’absinthe en Suisse, le fait n’est pas remis en cause, du moins pour le moment. D’ailleurs, notre propos n’est pas ici de le contester, mais plutôt de remettre en cause une théorie tendant à démontrer que cette Mère Henriod ne doit être autre que Dame Suzanne-Marguerite Henriod. Certains affirment de manière péremptoire que la Mère Henriod, « herboriste distinguée de Couvet », est aussi dite Mademoiselle Henriod, et qu’il faut voir en elle l’épouse du notable covasson Henri-François Henriod IV. En d’autres circonstances, nous avons exposé les raisons pour lesquelles nous ne pouvions retenir en Suzanne-Marguerite Henriod la Mère Henriod à l’origine de la recette de l’extrait d’absinthe. Depuis lors, nous avons procédé à d’autres recherches et consulté d’autres sources, démarche qui nous conforte dans la remise en cause de la théorie précitée. Nos résultats feront l’objet d’une publication avec mention des références. Si de nos jours, au nom du politiquement correct, le terme de « Mademoiselle » n’est plus de mise, il n’en était pas de même il y a quelque deux siècles. On peut aussi se dire qu’au temps des pionniers de l’extrait d’absinthe, la rigueur n’était pas le fait de tout un chacun. Néanmoins, et ceci même aujourd’hui, il n’est pas concevable de dire Mademoiselle en évoquant l’épouse - au demeurant mère de famille - d’un des plus importants et respectés notables de la région. Et parler d’elle en utilisant le terme de Mère Henriod aurait relevé alors du plus grand manque de respect. D’autre part, Suzanne-Marguerite Henriod (1756-1843) se nommait ainsi depuis le 3 janvier 1787, date de son mariage avec Henri-François Henriod IV (1754-1830). À notre connaissance, ce ne fut pas un « mariage blanc », le couple ayant eu cinq enfants, et - selon nos sources - Suzanne-Marguerite était fille d’un autre notable de la région, le justicier et notaire Jean-Henri Motta, et se nommait bien Mademoiselle Suzanne-Marguerite Motta avant de convoler. Même en faisant preuve de beaucoup d’imagination, nous sommes réticents à l’idée que l’imprimeur mandaté pour réaliser l’étiquette de l’ « extrait d’absinthe qualité supérieure de l’unique recette de Mademoiselle Henriod de Couvet Comté de Neuchâtel » ait obtenu un bon à tirer avec une aussi grossière erreur. Au vu de ces précisions, nous sommes de l’avis que Mademoiselle Henriod ne peut être autre que Marguerite-Henriette Henriod (1734-1801), sœur de Henri-François Henriod I - maçon et distillateur de son état – et morte célibataire. © Jacques
Kaeslin
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