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La société Pernod Fils & Boiteux
On s’accorde à dire aujourd’hui que le fondateur
de la célèbre maison Pernod s’est installé à Pontarlier
le 14 février 1805 pour y ouvrir et exploiter la première
distillerie d’absinthe connue sous la raison sociale Pernod Fils.
À ses débuts, Henri Louis Pernod a été associé à Marcelin
Dubied, un des fils du major. Toujours selon les chroniqueurs anciens,
cette association a été rompue en 1804 et Henri Louis
Pernod trouva un nouveau partenaire en la personne d’un certain
Boiteux, dont on ignore tout sauf le nom. Cette nouvelle association
aurait duré jusqu’en 1822, sous la raison sociale Perrenod
Fils & Boiteux, nous dit-on.
Depuis lors, nous avons découvert le contrat de constitution
de la société Pernod Fils & Boiteux, dont nous présentons
ci-dessous la première partie.
Couvrant quatre pages de registre, ce contrat de constitution de société a été passé le
19 décembre 1805 par devant un notaire de Couvet, en présence
des témoins Abram Henri Petitpierre, menuisier, et François
Boudry, horloger, tous deux domiciliés à Couvet.
Comportant une quinzaine de clauses, il nous révèle notamment
les éléments d’information suivants.
Les associés à la tête de la nouvelle société sont
Henri Louis Pernod, fils d’Abram Louis, habitant à Couvet,
et David Auguste Boiteux, fils de feu Samuel, habitant à Travers.
La société a pour objet la fabrication de l’extrait
d’absinthe et d’autres liqueurs, ainsi que le commerce
de ces objets là, de l’eau de vie, du vin et autres objets
dont les parties conviendront.
Cette société est constituée pour un terme de
six années, à commencer au 1er janvier 1806, sous la
raison sociale Pernod Fils & Boiteux (et non pas Perrenod). Le
siège de commerce est à Couvet.
La nouvelle société est chargée de liquider l’ancienne
société existant entre le sieur Pernod et Marcelin Dubied.
Henri Louis Pernod cède la distillerie de Pontarlier avec tout
ce qui en dépend. (A-t-il vraiment liquidé la distillerie
de Pontarlier ? En l’absence de document, la question reste
ouverte.)
Les clauses ci-dessus sont surprenantes dans la mesure où elles
divergent de ce que les chroniqueurs ont jusqu’ici rapporté.
Si l’on en croit cet acte notarié, Henri Louis Pernod
a donc cessé, dès le 1er janvier 1806, à produire
de l’extrait d’absinthe à Pontarlier, recentrant
ses activités à Couvet avec un nouveau partenaire.
La divergence est également d’importance en regard de
l’étiquette de cette maison de commerce. Libellée « Perrenod
Fils & Boiteux » d’une part, elle mentionne que
l’extrait d’absinthe de cette maison est produit à Couvet
et à Pontarlier d’autre part, et, finalement, présente
sur une bouteille, datée 1810.
En effet, la société Pernod Fils & Boiteux s’est
rapidement retrouvée en difficultés financières.
Dès le mois de mai 1809, elle a contracté plusieurs emprunts
qu’elle n’a pu honorer, pas plus qu’elle n’a été en
mesure de couvrir plusieurs billets à ordre que des notaires
de Couvet ont cherché à encaisser auprès d’elle.
À ce propos, nous avons découvert de nombreux documents
notariés ou de justice qui permettent de se faire une idée
précise de l’évolution, tant de cette société,
que de la production d’absinthe à Couvet au tournant des
18ème-19ème siècles. Il en sera fait état
dans un autre écrit.
Au plus tard en août 1809, la société Pernod Fils & Boiteux
a été mise en faillite. Les deux associés ont été contraints
de se défaire de leurs biens. Alors que David Auguste Boiteux
devait vendre sa maison en décembre 1809 et quitter le pays
après avoir obtenu un certificat de sa commune de résidence,
Henri Louis Pernod devait mettre en gage l’ensemble de ses biens
et effets personnels, et ceux de son épouse, pour s’obliger
auprès de ses créanciers.
Dans aucun des actes consultés, il n’est fait la moindre
mention de Pontarlier, sauf la clause relative à la liquidation
de la distillerie de Pontarlier dont nous avons parlé. Le 13
janvier 1809, la société Pernod Fils & Boiteux a
fait l’objet d’une visite de ses quatre caves à Couvet.
Suite à l’entrée en vigueur d’une nouvelle
réglementation sur le commerce des vins et alcools étrangers,
les commerçants de la branche ont dû déclarer leurs
avoirs en cave.
Outre quelques centaines de pots d’extrait d’absinthe,
il a été constaté la présence d’eaux-de-vie
et de vin rouge de France [marchandises détaillées et
quantifiées], aucun indice de fraude n’a été constaté.
Parmi les commerçants du Val-de-Travers visités alors,
seuls Pernod Fils & Boiteux et Dubied Père & Fils à Couvet
disposaient de pots d’absinthe.
Nous avons tout lieu de penser que la maison Pernod Fils & Boiteux
n’a pas produit d’extrait d’absinthe après
1809. La question reste ouverte (et à documenter) de savoir
si elle en a réellement produit - sous cette raison sociale
- à Pontarlier.
David Auguste Boiteux s’étant expatrié, Henri Louis
Pernod a dû assumer une bonne part, et ce pour longtemps, des
dettes contractées au cours de leur association, comme en témoigne
cet extrait d’un acte notarié daté du 6 mars 1816.
© Jacques Kaeslin et Michel Kreis
Val-de-Travers en mai
2012
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